Il fut un temps, a-t-on dit naguère, où les hommes ne s’attachaient pas à leurs enfants car beaucoup mouraient en bas âge, idée sur laquelle les historiens reviennent actuellement. On dit aussi que pour un homme du temps jadis, il était plus grave de perdre sa vache que sa femme.
Pouvait-on alors aimer les animaux ? Ou les pensait-on créés pour être au service de l’homme ? Animaux de traits, animaux de labours, chiens berger, chiens d’arrêt, chat de ferme chargés de protéger les greniers des souris et campagnols… Et puis ceux élevés pour leur lait, leurs oeufs, leur cuir, leurs poils, leur viande… Descartes les réduisait à l’état de machines…
Je crois bien que de tout temps on les a aimés pourtant, voire adorés comme en attestent les peintures rupestres, les sculptures des chasseurs-cueilleurs, celles des dieux antiques, les momies des Egyptiens.
Ce qui change peut-être, c’est la proportion de gens de l’un ou l’autre sentiment. Certains de nos aïeux les ont réellement aimés, ainsi le presque Maugeois Joachim Du Bellay qui était originaire de Liré, son petit village dont le séjour lui plaisait bien davantage que les palais Romains. Belaud, son petit chat gris vient de mourir, et Joachim ressent la même peine que nous lorsque nous voyons disparaître nos animaux dont la vie est si courte.
Maintenant le vivre me fasche ;
Et afin, Magny, que tu sçache,
Pourquoy je suis tant esperdu,
Ce n’est pas pour avoir perdu
Mes anneaux, mon argent, ma bourse ;
Et pourquoy est-ce donques ? pour ce
Que j’ay perdu depuis trois jours
Mon bien, mon plaisir, mes amours.
Et quoy ? ô souvenance greve !
A peu que le cueur ne me creve,
Quand j’en parle, ou quand j’en escris :
C’est Belaud mon petit chat gris :
Belaud, qui fut par aventure
Le plus bel œuvre que nature
Feit onc en matiere de chats :
C’estoit Belaud la mort aux rats,
Belaud, dont la beauté fut telle,
Qu’elle est digne d’estre immortelle.
Donques Belaud premierement
Ne fut pas gris entierement,
Ni tel qu’en France on les voit naistre ;
Mais tel qu’à Rome on les voit estre.
Couvert d’un poil gris argentin,
Ras & poly comme satin,
Couché par ondes sur l’eschine,
Et blanc dessous comme une hermine :
Petit museau, petites dens,
Yeux qui n’estoient point trop ardens ;
Mais desquelz la prunelle perse,
Imitoit la couleur diverse
Qu’on voit en cest arc pluvieux,
Qui se courbe au travers des cieux.
La teste à la taille pareille,
Le col grasset, courte l’oreille,
Et dessous un nez ebenin,
Un petit mufle lyonnin,
Au tour duquel estoit plantée
Une barbelette argentée,
Armant d’un petit poil folet
Son musequin damoiselet.
Jambe gresle, petite patte,
Plus qu’une moufle delicate ;
Si non alors qu’il degaynoit
Cela, dont il égratignoit :
La gorge douillette & mignonne,
La queuë longue à la guenonne,
Mouchetée diversement
D’un naturel bigarrement :
Le flanc haussé, le ventre large,
Bien retroussé dessous sa charge,
Et le doz moyennement long,
Vray sourian, s’il en fut onq.
Tel fut Belaud, la gente beste,
Qui des piedz jusques à la teste,
De telle beauté fut pourveu,
Que son pareil on n’a point veu.
O quel malheur ! ô quelle perte,
Qui ne peut être recouverte !
O quel deuil mon ame en reçoit !
Vrayment la mort, bien qu’elle soit
Plus fiere qu’un ours, l’inhumaine,
Si de voir, elle eust pris la peine,
Un tel chat, son cœur endurcy
En eust eu, ce croy-je, mercy :
Et maintenant ma triste vie
Ne hayroit de vivre l’envie.
Mais la cruelle n’avoit pas
Gousté les follastres esbas
De mon Belaud, ni la souplesse
De sa gaillarde gentillesse :
Soit qu’il sautast, soit qu’il gratast,
Soit qu’il tournast, ou voltigeast
D’un tour de chat, ou soit encores,
Qu’il prinst un rat, & or & ores
Le relaschant pour quelque temps
S’en donnast mille passetemps.
Soit que d’une façon gaillarde
Avec sa patte fretillarde,
Il se frottast le musequin ;
Ou soit que ce petit coquin
Privé sautelast sur ma couche,
Ou soit qu’il ravist de ma bouche,
La viande sans m’outrager,
Alors qu’il me voyoit manger ;
Soit qu’il feist en diverses guises
Mille autres telles mignardises.
Mon dieu ! quel passetems c’estoit
Quand ce Belaud vire-voltoit,
Follastre autour d’une pelotte ?
Quel plaisir, quand sa tête sotte
Suyvant sa queue en mille tours,
D’un roüet imitoit le cours !
Ou quand, assis sur le derriere
Il s’en faisoit une jaretiere
Et monstrant l’estomac velu,
De panne blanche crespelu,
Sembloit, tant sa trongne estoit bonne,
Quelque docteur de la Sorbonne ;
Ou quand alors qu’on l’animoit,
A coups de patte il escrimoit,
Et puis appaisoit sa colere,
Tout soudain qu’on luy faisoit chere.
Voylà, Magny, les passetemps,
Où Belaud employoit son temps ;
N’est-il pas bien à plaindre donques ?
Au demeurant tu ne vis onques
Chat plus addroit, ni mieulx appris
A combattre rats & souris.
Belaud sçavoit mille manieres
De les surprendre en leurs tesnieres,
Et lors leur falloit bien trouver
Plus d’un pertuis, pour se sauver ;
Car onques Rat, tant fust-il viste,
Ne se vit sauver à la fuyte
Devant Belaud. Au demeurant
Belaud n’estoit pas ignorant :
Il sçavoit bien, tant fut traictable,
Prendre la chair dessus la table,
J’entens, quand on luy presentoit,
Car autrement il vous grattoit,
Et avec la patte friande
De loing muguetoit la viande.
Belaud n’estoit point mal-plaisant,
Belaud n’étoit point mal-faisant,
Et ne fit oncq; plus grand dommage
Que de manger un vieux fromage,
Une linotte & un pinson
Qui le faschoient de leur chanson ;
Mais quoi, Magny, nous-mesmes hommes
Parfaits de tous poincts nous ne sommes.
Belaud n’étoit point de ces chats,
Qui nuit & jour vont au pourchas,
N’ayant souci que de leur panse :
Il ne faisoit si grand despense,
Mais estoit sobre à son repas
Et ne mangeoit que par compas.
Aussi n’estoit-ce sa nature
De faire par tout son ordure,
Comme un tas de chats, qui ne font
Que gaster tout par où ilz vont.
Car Belaud, la gentille beste,
Si de quelque acte moins qu’honneste,
Contraint, possible il eust esté,
Avoit bien ceste honnesteté
De cacher dessous de la cendre
Ce qu’il estoit contraint de rendre.
Belaud me servoit de joüet ;
Belaud ne filoit au roüet,
Grommelant une letanie
De longue & fascheuse harmonie ;
Ains se plaignoit mignardement
D’un enfantin myaudement.
Belaud (que j’aye souvenance)
Ne me feit oncq; plus grand’ offense
Que de me réveiller la nuict,
Quand il entroyoit quelque bruit
De rats qui rongeoient ma paillasse :
Car lors il leur donnoit la chasse,
Et si dextrement les happoit,
Que jamais un n’en eschappoit ;
Mais, las, depuis que ceste fiere
Tua de sa dextre meurtriere
La seule garde de mon corps,
Plus en seureté je ne dors :
Et or, ô douleurs non pareilles !
Les rats me mangent les oreilles :
Mesme tous les vers que j’écris,
Sont rongez de rats & souris.
Vrayment les dieux sont pitoyables
Aux pauvres humains miserables
Tousjours leur annonçant leurs maulx,
Soit par la mort des animaulx,
Ou soit par quelqu’autre présage,
Des cieux le plus certain message.
Le jour que la sœur de Cloton
Ravit mon petit peloton,
Je dis, j’en ay bien souvenance,
Que quelque maligne influence
Menaçoit mon chef de là hault,
Et c’estoit la mort de Belaud :
Car quelle plus grande tempeste
Me pouvoit fouldroyer la teste !
Belaud estoit mon cher mignon,
Belaud estoit mon compagnon,
A la chambre, au lict, à la table ;
Belaud estoit plus accointable
Que n’est un petit chien friand,
Et de nuict n’alloit point criand
Comme ces gros marcous terribles,
En longs miaudemens horribles :
Aussi le petit mitouard
N’entra jamais en matouard :
Et en Belaud, quelle disgrace !
De Belaud s’est perdu la race.
Que pleust à Dieu, petit Belon,
Que j’eusse l’esprit assez bon,
De pouvoir en quelque beau style
Blasonner ta grace gentile,
D’un vers aussi mignard que toy :
Belaud, je te promets ma foy,
Que tu vivrois, tant que sur terre
Les chats aux rats feront la guerre.